Plus grave encore, un battage médiatique, où la désinformation le dispute à la manipulation et à l’inversion des rôles, est mené contre la Haica. Les débats organisés par Nessma TV resteront, sans aucun doute, dans les annales du journalisme, comme l’exemple type d’une transition médiatique ratée.
Bien évidemment, tout ce tapage a culminé avec l’ultimatum de la Haica, fixé au 28 septembre 2014 à minuit, qui commande, conformément à la loi, d’infliger des sanctions aux radios et télévisions qui diffuseront sans licence.
En cas d’exercice des activités de diffusion sans Licence, la Haica inflige des amendes allant de vingt mille (20.000) dinars à cinquante mille (50 000) dinars et elle peut ordonner la confiscation des équipements utilisés dans l’accomplissement de ces activités.Article 31 du décret-loi 116
Il y a quelques mois déjà, Nawaat prévenait contre « les assauts » qui seront bientôt lancés contre l’Isie et la Haica par ceux qu’elles dérangent. « Fragiles, encore, qu’elles sont, du fait de leurs courtes existences », ces deux instances indépendantes ont, cependant, une mission vitale à mener à terme. En formulant ses craintes, Nawaat s’interrogeait également si « l’opinion publique pouvait être [à force de propagande mensongère] en mesure de faire la part des choses -lors des moments difficiles- en évitant de tomber dans le piège de ceux qui chercheront à saper l’autorité de ces deux institutions».
« Entre deux rangées de canon »!
Après l’attaque orchestrée contre les cahiers des charges, voici donc venu le temps des gros « calibres ». Arrivée au terme d’une pénible mission, la Haica y est, bel et bien, entre ces « deux rangées de canons » avec des patrons de médias, d’un côté, et des politiques, de l’autre. Le but étant de « faire prévaloir leurs visions de ce que doivent être leurs marges de manœuvre » dans la bataille électorale.
Alors même que Mosaïque FM, Jawhara FM, Express FM et Cap FM ont, finalement, décidé de signer les Cahiers des charges, les chaînes Nessma et Hannibal refusent toujours de soumettre leurs dossiers à la Haica. Réfractaire à l’idée même de régulation, Nabil Karoui, le patron de Nessma TV, se prévaut, lui, de « la continuité de l’État » affirmant que l’autorisation dont il a bénéficié, en 2007, sous Ben Ali, n’expire qu’en 2019. Or, le droit administratif ne reconnaît pas le régime de l’autorisation. De plus, les termes de la convention liant Nessma à l’ancien régime sont particulièrement limitatifs puisqu’ils stipulent seulement les obligations du diffuseur, mais non ses droits. La chaîne s’y engageant à ne pas faire de direct, à ne pas diffuser d’informations et à proposer des programmes composée d’émissions de divertissements et de programmes culinaires. Au fond, en accusant, aujourd’hui, la Haica de faire du « dumping », Karoui avoue craindre la concurrence, alors même que sa chaîne ne se relève pas de ses difficultés financières, malgré les injections de Quinta Communications de Tarek ben Ammar et Mediaset de Berlusconi, dès 2008.
Prétendre, aujourd’hui, que le travail de régulation de la Haica équivaut à la censure qu’exerçait, au temps de Ben Ali, un Abdelwahab Abdallah ou la tristement célèbre Agence Tunisienne de Communication Extérieur (ATCE) est une aberration. Ceux qui l’affirment font semblant d’ignorer que Ben Ali a ouvert, en 2003, l’espace audiovisuel au secteur privé, non pas pour briser le monopole de l’État sur le secteur de l’audiovisuel, mais pour « accorder, arbitrairement sous forme de privilèges, et dans l’opacité la plus totale, des licences et des autorisations de télédiffusion à des membres de la famille régnante, à des proches et à des amis fidèles du régime ». C’est ainsi que Hannibal TV de Larbi Nasra fut, également, créée, en 2005. Mais l’inversion n’est-elle pas l’une des figures privilégiées de la propagande prompte à truquer la réalité ?
Ainsi, on aura relevé que les inversions, proférées par des journalistes, des patrons et des politiques hostiles à la régulation de l’audiovisuel, s’organisent en plusieurs binômes.
Régulation | Censure |
HAICA | ATCE |
Viabilité de l’entreprise | Chômage des journalistes |
Diversité | Appauvrissement |
Intégrité | Dumping |
Transparence | Collusion |
Liberté | Hors-la-loi |
Citoyen conscient | Spectateur dupe |
La liberté de l’information selon Nessma TV !
Selon Nessma Tv, la régulation est pire que la censure. La chaîne ouvrait, ainsi, le bal des partis-pris avec un plateau consacré, jeudi dernier, à la contestation de l’autorité de la Haica et de son travail de régulation du secteur. Entourée de trois juristes et du directeur de la radio MFM débouté par la Haica, l’animatrice Meriem Belkhadi était bien parée pour l’attaque.
L’autorité du discours juridique faisant écran à la réalité des choses, les juristes se sont dépensés en arguments pour convaincre les téléspectateurs que l’instance de régulation est nulle et non avenue. Taoufik Bouachba qui était invité, il y a quelques mois, sur le même plateau, à propos du même sujet, affirmait que le tribunal administratif n’as pas dit son dernier mot concernant le procès intenté par le STDM (syndicat tunisien des directeurs de médias) en vue de modifier les Cahiers des charges de la Haica. Dans un aveu involontaire, l’universitaire avoue, cependant, qu’il a « approché » la Haica, seulement, lorsque « la société civile » (entendu le STDM) l’avait appelé à la rescousse. On ne comprend pas pourquoi Kamel Ben Messaoud rappelle, lui, la naissance difficile de l’instance de régulation et son caractère transitoire comme des contre-arguments pour saper son utilité, alors que cela prouve, précisément, que si la Haica a mis autant de temps à prendre sa vitesse de croisière, c’est bien parce qu’elle inspire crainte et inquiétude à de multiples détracteurs.
Le juriste croit minimiser encore plus la marge de manœuvre de l’instance en évoquant son « caractère transitoire » qui ne doit pas entraver les médias qui ont « contribué à la transition démocratique » comme Nessma Tv. Également mise en cause, la démission de deux membres spécialistes en Droit de la Haica qui met en doute les décisions de la Haica, selon le juriste. Ces deux membres sont Mohsen Riahi, représentant de la STDM, et la juge Raja Chaouachi, représentante de l’association des magistrats. On rappellera que la démission de la juge était entachée d’un vice de forme relatif à un décalage entre la date de sa démission et la date de sa nomination par l’Instance provisoire de l’ordre judiciaire.
Or, l’expert occulte le fait que la Haica est une instance constitutionnelle dotée de pouvoirs réglementaires et consultatifs, ce qui ne changera rien à son rôle, après les prochaines élections. De même, selon l’article 125 de la Constitution, son rôle consiste à « œuvrer au renforcement de la démocratie », mais à croire Ben Messaoud, la démocratie n’est qu’un exercice purement formel. De quoi mettre en doute l’expertise de cet avocat, qui démissionnait, lui aussi, il n’y a pas si longtemps, de l’Isie, une autre instance constitutionnelle, parce que la présidence de l’instance ne lui a pas échu. En outre, l’article 127 insiste sur « la pluralité », mais aussi « l’intégrité du paysage médiatique » que doit garantir la Haica. Ainsi, comme le relevait un spécialiste des médias, « l’activité de régulation vise aussi à orienter et à déterminer les actions en faveur de ce qui est perçu comme étant souhaitable pour le champ médiatique pris dans son ensemble. Ce qui est très différent de l’agrégation des intérêts particuliers des opérateurs du système ».
Parole d’expert !
Il n’y a donc pas de liberté sans respect de la loi qui organise et préserve le secteur de toutes sortes de dérives et de collusions. S’agissant des deux démissionnaires de la Haica, rappelons que, dans le chapitre des dispositions transitoires, l’article 47 du décret-loi 116 dispose que la nomination de nouveaux membres revient au président de la République, qui est lui-même transitoire ! Dans ce sens, il s’avère que les magistrats ont déjà choisi un suppléant à Chaouchi, tandis que le STDM a refusé de nommer quelqu’un pour remplacer Riahi. Ce que le décret-loi 116 n’a pas prévu.
Ce dernier rappelait qu’en démissionnant de la Haica, il tirait la sonnette d’alarme en pointant, notamment, la non-transparence des critères de sélection. Mais, comme par hasard, ces critères ont été fixés, au lendemain de son départ. D’autant que, selon lui, ces critères ne recouvrent que 20% de ce qui est énoncé dans les Cahiers des charges. Pourtant, Riahi a contribué à élaborer ces critères avant sa démission. Reste à vérifier les accusations d’abus relatifs aux cas des chaînes Al Hiwar Ettounsi et First Tv. La première ayant obtenu une licence de chaîne privée, alors qu’elle avait une vocation associative. La seconde ayant racheté la société TWT qui a cessé son activité, ce qui pose problème, selon Riahi.
Mais, en accusant les membres de la Haica d’abus de pouvoir, de non-transparence et même de collusion avec des patrons et des partis politiques, ces prétendus “experts en droit de l’audiovisuel” ne craignent-ils pas qu’on leur retourne l’offense ? Est-ce en expert averti que Me Ben Messaoud louangeait, en juin 2010, « le geste du président Ben Ali, qui avait reçu l’équipe de l’émission d’El Hak Maak, parce qu’il démontrait l’encouragement au plus haut sommet de l’État au secteur des médias et à l’information libre » ?
Le directeur de MFM s’est plaint, de son côté, d’avoir été injustement écarté par la Haica à cause d’une défaillance au niveau de son plan financier, mais aussi pour des procès intentés contre lui, dans le passé. Or, lors de la sélection des candidats, il y a des conditions lesquelles, non respectées, sont excluantes. Ainsi en a-t-il été, par exemple, des candidats qui ont téléchargé des dossiers financiers sur internet ou de ceux qui ont copié leurs programmes sur d’autres médias.
Ces députés qui ont voté pour, mais qui sont contre la régulation en période électorale !
A la veille de la date butoir, Nessma lançait une campagne de mobilisation sur son site et sa page facebook, sous le signe de « #Nessma_7orra #Hannibal_7orra #Tounesna_7orra ». Mettant les gros moyens au service de sa cause, la chaîne va enchaîner les débats, toute la journée du dimanche. Une multitude de gens ont défilé sur le plateau pour exprimer leur indignation et leur solidarité avec « la chaîne de la famille » : Des artistes, des humoristes, des journalistes, des douaniers, des policiers, le frère de feu Chokri Belaid, Jawhar Ben M’barek et bien d’autres. Tout ce beau monde ne savait absolument pas de quoi il retournait. Que de clichés et d’amalgames prouvant que ces défenseurs méconnaissent les fondamentaux de ce métier. Les citoyens interviewés par Nessma n’étaient pas en reste, à une exception près, tous pensent que la démocratie dépend de la quantité des médias diffuseurs et non pas de leur qualité.
Le hic, c’est que des députés ont pris part à ce grand cirque médiatique. Quasiment, tous les partis ont répondu présents à l’appel pour descendre la Haica, croyant faire d’une pierre deux coups. Ces mêmes députés, qui ont voté la constitutionnalisation de l’instance indépendante de régulation de l’audiovisuel, ont donné un bel exemple en matière de respect des lois et des institutions. Faut-il s’en étonner, quand les politiques du gouvernement et de l’assemblée sont en lice pour les prochaines élections! Et des députés se sont même insurgés contre l’interdiction, par la Haica, de la transmission des plénières sur les chaînes de télévision.
Parler d’enjeux et de défis en les rapportant aux médias, en période électorale, revient, en définitive, à parler du système démocratique lui-même et de l’indispensable contribution que doivent apporter les politiques à son avancée. Zied Laadhari d’Ennahdha s’est même risqué à dire que, sous la Troika, aucun journaliste ou média n’a été censuré ! (sic), mais aucun des journalistes de Nessma, présents sur le plateau, ne l’a démenti ! Vu sans doute que Nessma TV a viré à plusieurs reprises des journalistes et des techniciens, sans préavis, ni sécurité sociale, comme la plupart des patrons hostiles à la Haica. Et ce qui est stupéfiant, c’est que l’UGTT, à travers son syndicat de base, s’est déchaîné contre la Haica, sous prétexte que des journalistes vont se retrouver au chômage. N’aurait-il pas mieux valu que le syndicat de l’information propose, plutôt, de revoir la convention collective pour améliorer « la condition journaleuse » !
Pour couronner cette campagne mouvementée, El Hiwar Ettounsi TV de Tahar Ben Hassine a transformé, depuis dimanche soir, son logo en y accolant la couleur et le graphique bleus de la chaîne Ettounissia de Slim Riahi. Est-ce un clin-d’œil à la parenté qui lie la nouvelle actionnaire d’El Hiwar à l’un des actionnaires d’Ettounissia ou Ben Hassine compte-t-il apporter son assistance à la télévision hors-la-loi ? Qu’en pense la Haica qui vient de lui accorder une licence de diffusion, d’ores et déjà, contestée?
Magnifique article. Superbe contribution au débat et à cette douloureuse et tortueuse marche vers la démocratie.
Un merci sincère